La Chine suspectée d'avoir volé les plans de la plus précieuse machine du monde


Un ex-employé chinois – basé en Chine – d’ASML est suspecté d’avoir volé des informations sur le fonctionnement des machines de gravures EUV. Ces machines qui coûtent 170 millions de dollars pièces, sont les seules au monde à être capable de graver les puces électroniques en dessous de 7 nm. Une technologie unique que la Chine convoite ardemment.

Si vous lisez cet article sur votre smartphone, sachez que la puce qui le fait fonctionner est forcément passé par une machine unique en son genre… dont certains secrets de sa fabrication viennent d’être volés. L’histoire relevée par le média d’informations économiques Bloomberg touche le géant néerlandais ASML et plus particulièrement son fleuron : le stepper (ou scanner) EUV. Cette machine de pointe à 170 millions d’Euros est unique en son genre. Réputée pour être la plus « précieuse et la plus complexe » du monde, est la seule actuellement sur le marché qui soit capable de graver des circuits dont la taille soit inférieure à 7 nm. Soit la quasi-totalité des puces mobiles moyen et haut de gamme vendues sur la planète.

Le vol n’est pas anodin, et ce, à plus d’un titre. Parce qu’il touche un « trésor national » des Pays-Bas. Qui est, avec le Japon, le seul pays au monde à produire des steppers. Ensuite, parce qu’il nous se déroule dans le traditionnel scénario qui place la Chine en espion économique des technologies occidentales. L’histoire concerne en effet un ex-employé chinois de la branche chinoise d’ASML. Car la Chine est un marché très important pour ASML : s’il lui est interdit de vendre sa super machines EUV aux entreprises chinoises, ces dernières ont cependant le droit d’acheter les machines « classiques » dites DUV. Et comme pour les machines EUV, ASML est aussi le king des machines DUV (devant Nikon) et a donc une importante présence en Chine – 1500 employés. Une présence d’où provient une fuite d’informations potentiellement (très) gênante…

Une brèche de sécurité qui pèse lourd sur ASML

Le vol de ces informations est un événement majeur non seulement pour ASML, mais aussi pour les gouvernements. « ASML nous a informés de cet incident. Une enquête est en cours à ce sujet et je l’attends », a déclaré à la presse la ministre néerlandaise du Commerce, Liesje Schreinemacher. « Il est donc très inquiétant qu’une entreprise aussi grande et réputée soit affectée par l’espionnage économique. » Si ASML n’a pas donné de détails précis sur la nature exacte de ce qui a été volé, de premiers éléments compilés par Bloomberg font état d’un accès à des documents provenant d’un outil interne compilant des informations techniques relatives aux systèmes lithographiques.

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Dans une triple alliance des Pays-Bas avec le Japon et les USA, et sous l’impulsion de ces derniers, la Chine est en effet sous le coup d’une forme d’embargo des toutes dernières technologies de gravure de puces. Toute rupture, même involontaire, de cet embargo peut donc avoir des conséquences juridiques mais aussi diplomatiques. La Chine, de son côté, n’a évidemment pas commenté les faits et agissements d’un individu – mais les suspiscions sont fortes. D’une part, parce que le pays est en pleine frénésie d’achat de machines de lithogravure. Neuves, vieilles, d’avant-dernière, voire de très anciennes générations, les industriels chinois achètent absolument tout ce qui traîne sur le marché. Autant pour satisfaire les besoins internes de production… que les besoins et les ambitions d’indépendance technologique.

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Car la Chine et ses industriels parlent ouvertement de leur souhait de développer leurs propres filières de machines de lithogravure, notamment les EUV qui sont les seules à même de graver les puces du futur. En rusant, le fondeur SMIC a réussi à produire des puces assez simples en 7 nm grâce à de très nombreux passages en DUV (Deep Ultraviolet). Mais seule la technologie EUV (Extreme Ultraviolet) permet de dépasser cette limite et de regarder vers les finesses de quelques angström. Voilà pourquoi toutes les entreprises du monde des semi-conducteurs sont dans le collimateurs de la Chine. Surtout les fabricants de steppers que sont Nikon ou ASML. Qui n’en est pas à sa première affaire d’espionnage par la Chine.

Le spectre d’un espionnage coordonné sur le long terme

Chione USA semiconducteurs
Les USA sont le fer de lance du blocage à l’export des technologies de pointes de production de semiconducteurs vers la Chine. © avec Dall-E

L’an dernier, ASML avait en effet révélé s’être rendue compte qu’une entreprise chinoise appelée Dongfang Jingyuan Electron avait, par le biais d’une entreprise américaine « sœur », Xtal, volé des informations critiques d’ASML. Le butin ? Plus de deux millions de lignes de code d’un logiciel clé que les deux entreprises se sont partagées. Une procédure juridique s’est déroulée à huis clos en 2018 où les enquêteurs américains ont réussi à établir que Xtal et Dongfang avaient agi dans un seul but : mettre la main sur des technologies d’ASML pour les transférer à la Chine. Et qui est Dongfang Jingyuan ? Un des joyaux technologiques de la filière chinoise des semi-conducteurs. Qui développe déjà des machines clé de la production des wafers en 200/300 mm, tels que des outils de vérification de surface (métrologie), des systèmes d’imagerie, etc. Et qui est pressentie par certains pour lancer les premières générations de steppers/scanners modernes de l’industrie chinoise.

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Après que la faille a été découverte, il convient désormais de savoir le plus exactement possible ce qui a été récemment volé et à voir à qui « profitera le crime ». Et surtout comment non seulement ASML, mais surtout la « coalition des steppers » représentée par les Pays-Bas, le Japon et les États-Unis peuvent répondre. Dans des cas d’espionnage avérés, comme celui de Micron, l’occident a déjà réagi férocement en rappelant ingénieurs et machines. Enterrant il y a de cela seulement cinq ans, une méga usine dédiée à fabrication de mémoire.

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Mais dans le cas de la fuite chez ASML, les ambitions chinoises semblent un cran au-dessus. Privé petit à petit de certaines technologies et équipements clés, l’Empire du milieu a décidé de les développer lui-même. Et une fois ce savoir acquis, digéré et transformé en machines indigènes, la Chine gagnerait encore en autonomie. Voire, comme elle le souhaite sans doute, en autarcie. Ce qui reste évidemment plus facile à dire qu’à faire : aussi puissants soient-ils, les USA considèrent la chaîne de production de puces comme une coopération de grande envergure – au Japon et aux Pays bas les machines, à Taïwan et à la Corée du Sud la fabrication de masse, aux USA les ISA et les logiciels clés, etc. La Chine pourra-t-elle atteindre son rêve d’indépendance totale ? C’est assez improbable. Mais on voit bien qu’elle fait tout pour y réussir.

Source : Bloomberg



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